Entretien avec Lucas Michallet-Lanzarone

Diplômé d’un master en Construction des Sociétés Contemporaines (Master de recherche en histoire de l’université Lumière Lyon III, l’université Lyon III Jean-Moulin et l'ENS Lyon) Lucas Michallet-Lanzarone est depuis novembre 2023 doctorant au CHS (Centre d’histoire sociale des mondes contemporains), sous la direction de Judith Rainhorn.

Portrait de Lucas Michallet-Lanzarone

Sur quoi portent vos recherches de thèse ?


Ma thèse, provisoirement intitulée « Le mouton, la bactérie et l’expert : le gouvernement des zoonoses en France et au Royaume-Uni, 1850-1980 » porte sur l’étude historique et pluridisciplinaire des zoonoses. Elle s’intéresse aux relations interspécifiques entre hommes et animaux lors des contextes d’épidémies. Plus spécifiquement, ma recherche s’inscrit dans plusieurs champs d’étude qui, pour chacun d’entre eux, soulèvent des questionnements différents. En effet, elle s’intéresse à l’histoire de l’émergence de deux épidémies de nature zoonotique, la brucellose et la fièvre charbonneuse, à l’évolution de la construction des savoirs médicaux et vétérinaires à leur sujet et à leur gouvernement par différents types d’acteurs impliqués entre 1850 et 1980, en France et au Royaume-Uni. Grâce à une démarche comparative, mêlant différents concepts et méthodologies des sciences sociales et sciences du vivant (sociologie interactionniste, anthropologie de la santé, histoire des sciences, biologie évolutive, éthologie, etc.), l’étude mobilise un corpus archivistique concernant deux foyers épidémiques distincts – sud-est de la France d’une part, nord de l’Angleterre et Écosse d’autre part.

Il s’agit donc d’une recherche particulièrement interdisciplinaire ?

Oui, tout à fait. Tout d’abord, bien que je sois historien, mon contrat doctoral de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne est un contrat à vocation pluridisciplinaire, en lien avec l’axe santé d’Una Europa. À un niveau pratique, il me pousse donc d’emblée à croiser des méthodologies et des travaux théoriques divers pour m’inscrire dans la droite ligne des discussions gravitant autour du concept de One Health.
Aussi, des questions aussi complexes que l’ontologie animale – les manières d’être au monde, décrites par Philippe Descola dans Les formes du visible – ou des relations anthropozoologiques – relations entre l’espèce humaine et animale – ne peuvent être réduites à une approche historique classique. En effet, il m’a semblé que je devais prendre en considération les nombreuses controverses qui animent le monde scientifique sur ce sujet depuis au moins cinquante ans, et les modèles explicatifs développés dans les autres disciplines. Ainsi ai-je trouvé dans certains travaux de Dominique Guillo, Bernard Lahire, Michel Grossetti, ou encore d’Éric Baratay, des programmes de recherche heuristiquement féconds qui me permettront d’articuler les résultats trouvés dans mes archives à des thématiques qui s’inscrivent, indirectement du moins, dans les débats de Social Theory.
L’ambition de ma thèse est donc, dit rapidement, d’interpréter certaines sources dépouillées à l’aune des nouvelles connaissances obtenues en sciences du vivant, comme l’éthologie ou la biologie évolutive néodarwinienne, afin de restituer toute l’historicité des agents sociaux que sont les animaux. Sans considérations métaphysiques a priori toutefois, ce travail de recherche se veut extrêmement précautionneux face aux modalités réelles des interactions entre hommes et animaux et entend garder une symétrie épistémologique pour étudier équitablement les deux espèces.  

Quelles sont vos principales hypothèses de travail et à partir de quelles sources travaillez-vous ?

Le concept de One Health oriente donc ma recherche vers un prisme d’étude holiste et écologique pour interroger les liens entre la santé humaine, la santé animale et l’environnement. Ce terme est d’ailleurs beaucoup discuté dans ma thèse et, pour de nombreuses raisons, je lui préfère celui de « coévolution » (voir Aliénor Betrand et al., Liaisons pastorales : coévolutions, ruptures, résistances).
Comme il s’agit de ma première année de thèse, mes pistes de recherches sont effectivement de simples hypothèses de travail pour l’instant. Plusieurs d’entre elles peuvent cependant être énumérées : la question de la contamination des êtres humains par le lait ou la viande, voire par la manipulation de la laine contaminée dans l’industrie lainière, les accidents de vaccination sur les bêtes malades, la question de la traduction du langage animal par les vétérinaires, ou encore le problème de la dilution génétique des cheptels, découlant des croisements et de la sélection par les humains, ayant ainsi largement favorisé l’émergence de zoonoses.
Dans cette optique, je privilégie les sources locales (fonds des services vétérinaires, police sanitaire, syndicats d’éleveurs, etc.), notamment afin d’avoir accès à des témoignages proches des interactions en train de se dérouler. En parallèle, je vais exploiter d’autres type de sources, comme des mémoires de médecins de campagne ou de vétérinaires, rapports de zootechnie, ou encore des fonds privés d’instituts de bactériologie, dans une optique d’histoire des sciences et des savoirs plus classique. Cette hétérogénéité de sources doit, je l’espère, conduire à une meilleure compréhension du phénomène de zoonose.

Comment faites-vous dialoguer vos problématiques de recherche sur la santé et d’environnement et les enseignements que vous dispensez à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ?

Au second semestre de cette année, j’ai eu la chance de dispenser un ACT (cours d’ouverture thématique) pour les L2 de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ce dernier s’intitulait « corps, santé et environnement (XVIIIe – XXIe siècles) » et il m’a, en effet, permis d’enseigner aux étudiants des thèmes de recherche qui me sont familiers, comme l’histoire environnementale, ou plus éloignés tels que l’histoire de la médecine. Comme le cours se présentait sous la forme d’un CM, je disposais d’une marge de liberté assez importante. Malgré le fait que cela m’ait demandé beaucoup plus de travail, j’ai donc pu travailler les séances en mêlant une approche d’histoire de la santé plus traditionnelle avec une approche d’histoire de la santé globale/environnementale plus récente. Cela a été très bénéfique pour moi, surtout pour une première année de thèse, dans la mesure où j’ai pu rapidement faire l’expérience d’une recherche étroitement liée à l’enseignement.