Entretien avec Cécile Faliès
Entretien avec Cécile Faliès, géographe
MCF en géographie, Cécile Faliès est rattachée à l’UMR PRODIG (Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique). Elle est également vice-présidente à la recherche de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Elle a récemment co-dirigé un numéro d'EchoGéo "Du champ à l'assiette : étapes et acteurs intermédiaires des circuits alimentaires dans les Nords et dans les Suds".
Sur quoi portent vos recherches actuelles ?
Mes recherches actuelles portent sur la nature des relations de pouvoir entre villes et campagne dans des contextes métropolitains latino-américains, et plus particulièrement au Chili. Elles s'articulent autour de trois axes :
- D'abord, la question de l'alimentation. J'étudie comment des espaces ruraux agricoles productifs se maintiennent face à l'urbanisation en contexte métropolitain, afin d'assurer l’alimentation d’urbains de plus en plus nombreux, que ce soit en quantité mais aussi en qualité. En effet, on constate dans les grandes villes latino-américaines, particulièrement dans les pays émergents comme le Mexique, le Brésil et le Chili, une obésité infantile plus forte que partout ailleurs. A ce titre, ces grandes villes continuent d'avoir faim au sens qualitatif, même si elles sont situées dans des pays autosuffisants d'un point de vue alimentaire en quantité, où les famines ont quasiment disparu depuis 30 ans.
- Je travaille également sur les incendies à l'interface bâti-forêt en périphérie de ces grandes villes, qu'il s'agisse de Valparaiso Viña del Mar, Santiago du Chili mais aussi des villes secondaires comme Concepción. En dehors des morts directes au moment des catastrophes que sont ces grands incendies, je m’intéresse à leurs conséquences à moyen terme sur la santé des populations suite à l'inhalation de particules fines, mais également la consommation de produits maraîchers cultivés sur des terrains très riches en matière organique après les incendies et irrigués par des eaux également polluées.
- J’intègre ces deux axes au programme COINCIDE, un programme co-disciplinaire porté avec le juriste Xavier Philippe, professeur de Droit constitutionnel et directeur de l’UMR ISJPS, afin d'analyser comment ces enjeux environnementaux et territoriaux sont en voie d’être intégrés à l'arsenal légal dont dispose le pays.
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux questions de santé dans votre parcours de recherche ? Quels liens tracez-vous entre santé et environnement dans vos travaux ?
Formée à la géographie rurale, j'ai tôt rencontré les questions environnementales au Chili, où j'ai réalisé mes premiers travaux de recherche. En effet, dès 2005, j'ai eu l'occasion d'observer les effets sur l'environnement des plantations d'avocatiers sur les versants de la Cordillère de la Côte. Ces effets étaient de trois ordres : d'abord une forte érosion des versants liée à des plantations dans le sens de la pente ; deuxièmement, un problème de pénurie d'eau en raison des besoins importants d’eau d’irrigation de cette fruiticulture d'exportation ; troisièmement un problème de qualité de l'eau de consommation pour les personnes vivant dans cette région - la vallée de l'Aconcagua présentant les plus fortes concentrations de cancer du côlon de tout le pays. Par ailleurs, les questions d'alimentation des urbains m’ont rapidement intéressée. Par suite, pendant la pandémie de covid-19, j'ai vu les effets concrets de la comorbidité liée à une mauvaise alimentation sur les populations chiliennes, touchées par l'obésité, le surpoids et le diabète dans un contexte national de grande inégalité d’accès aux soins. Enfin, je me suis intéressée à l'approche One Health Plus, intégrant de façon systémique les questions de santé animale et humaine mais dans un environnement spécifique.
Plus récemment, j’analyse les effets à moyen et long termes sur la santé humaine des incendies dans des contextes métropolitains qui s’urbanisent par le biais non seulement de la pollution atmosphérique mais aussi de la consommation de produits agricole riches en matière organique et parfois en métaux lourds transférés aux sols et aux cours d’eau suite aux feux.
Comment intégrez-vous les problématiques de santé et d’environnement aux enseignements que vous dispensez à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ?
Qu’il s’agisse de mes enseignements généralistes en géographie du développement en licence, où l’étude des inégalités occupe une place importante, ou d’enseignement plus spécialisés en master sur les dynamiques des relations villes-campagnes et les mutations sociales et territoriales en Amérique latine, j’aborde les problématiques de santé et d’environnement. En effet, la géographie est à l’interface des sciences de la terre et des SHS particulièrement à même de décrire et d’analyser des phénomènes systémiques articulant des échelles variées, de la parcelle agricole au changement climatique planétaire.
Pour prolonger cet entretien, Cécile Faliès conseille la lecture de :
- James C. Scott, Against the Grain: A Deep History of the Earliest States, 2017
- Christine Raimond, Cécile Falies, Angèle Proust, Bernard Tallet. "La transition alimentaire, un modèle unique ?" in Élisabeth Peyroux, Christine Raimond, Vincent Viel et Émilie Lavie. Développement, changements globaux et dynamique des territoires : théories approches et perspectives de recherche, 2022. ⟨hal-03899222⟩